Solitude missionnaire... ou petite réflexion quadragésimale

Publié le par Thibault

 NB: Les lignes qui suivent furent écrites pour la Revue des MEP, pour son numéro sur l'Inde, à venir.

C’est sans doute, du pays Karen en terres tamoules, du royaume Khmer à la rue du Bac, ce qui m’a le plus frappé dans mes rencontres avec les Pères MEP : une vie de solitude. Non pas seulement la solitude sacerdotale, telle qu’elle peut se présenter dans nos contrées hexagonales ; le prêtre, du fait de sa mission et des moyens pris pour la vivre en plénitude, est sinon par nature, du moins par nécessité, un homme vivant une solitude certaine.

Pour autant, quelque chose semble être différent chez ces missionnaires. Certes, ils sont souvent seuls dans leurs lieux de mission. Oui, sans doute aussi sont- ils du fait même de leur origine étrangère, distingués et esseulés du reste de la portion du Peuple de Dieu dont ils ont la responsabilité. Oui, malgré l’apprentissage de la langue et l’assimilation de la culture locale, ils sont et demeurent des non-natifs. Même si toutes ces circonstances extérieures sont importantes et participent de cette vie solitaire, c’en est une appréhension par trop évidente et superficielle. Il semble que cette solitude aille plus loin.

Ils ont tout quitté, ad vitam. Leurs famille, leur pays, leur culture, leurs amis. Bref, tout ce qui constitue un homme dans sa dimension sociale. Leur société, c’est le Christ. Leur culture, c’est le Christ. Leur famille, c’est le Christ. Leur ami, c’est le Christ. Leur pays, c’est le Royaume des Cieux. Renversement des équilibres, retournement des acquis humains les plus élémentaires. Et, du fait de cette conversion humaine et spirituelle radicale qui les voit tout quitter pour répondre au « suis-moi » ad extra, ils se voient attribuer un autre pays (celui de leur mission), une autre famille (les âmes dont ils reçoivent charge).

Chacun est donc un envoyé. Un apôtre des Nations n’ayant pour seul bagage, pour seul compagnon de route, que le Christ. C’est auprès de Lui qu’ils vont puiser, dans une longue quête de toute une vie, la force de L’annoncer. Parfois à des peuples semblant hermétiques à l’évangélisation, comme les Japonais ou les Thaïlandais. Comme volontaires, nous trempons nos lèvres en ce calice de don et de mystère, en jouant à l’apprenti-missionnaire. Mais, disent les gamins des cours de récré, « c’est pas du jeu ! ». Après quelques temps, nous retrouvons nos marques, notre pays, notre culture, nos amis, notre famille.

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La chartreuse de la Valsainte

Pourtant, je voudrais croire que ce que nous vivons pendant ces quelques mois nous est un avant-goût, une « mini expérience » - mais expérience quand même – de cette solitude. Les débuts de ma mission à Mysore, avec un enseignement pas très emballant et un travail auprès des handicapés déconcertant, tout cela dans un cadre qui me semblait hostile à tout point de vue, m’ont donné l’occasion de vivre une vraie solitude. Une solitude d’abord subie, certes. Une solitude qui vous pousse à désirer rentrer au pays, à reprendre vos habitudes, à vous installer. Et pourtant, une solitude qui décape. Parce que tout ce qui est superficiel ne tient plus. Le visage du Christ se découvre petit à petit, comme s’il avait toujours attendu que l’on soit seul. Seul pour Lui. Alors notre vie prend une autre dimension. Cette solitude, après que j’en ai mesuré les grâces, est devenue « choisie ». Elle est devenue essentielle à mon année passée ici. Mon enseignement est devenu lieu de rencontre. Mon service auprès des handicapés, qui ressemblait d’abord à une ascèse mal vécue, a été transformé en joie de visite d’un lieu de Vie. Pourtant, ni au Saint Philomena’s College, ni au centre d’handicapés des Missionnaires de la Charité, n’a-t-on pu voir un quelconque changement extérieur. Le changement était dans le rapport que j’établissais avec cet extérieur. La solitude choisie pour lieu de vie (si elle n’est pas fuite) rend l’homme seul joyeux de toute rencontre. Il bénit le temps de solitude (qui est rencontre de Dieu en soi) comme une préparation de la rencontre de l’autre, et de Dieu en l’autre.

La solitude devient ainsi missionnaire. La solitude est rencontre. Rencontre de soi, de Dieu, de l’autre. Nos frères chartreux ne s’y trompent pas. La Valsainte, fondation cartusienne en Suisse, accueille le rare visiteur avec ces mots gravés dans la pierre : Soli Deo. Parce que, comme l’écrivit sainte Thérèse d’Avila, Dieu seul suffit. Dieu suffit pour faire de notre vie une vie réussie : une vie pour Lui, par Lui et en Lui. Une vie missionnaire. Un témoignage perpétuel. 

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Ici, le cimetière de la Valsainte, où  est enterré le Cardinal Journet

La solitude elle-même est témoignage. Ce n’est pas anodin que ce soit ce qui m’ait marqué chez ces prêtres rencontrés au fil de mes pérégrinations. L’esprit libre des Pères MEP et leur caractère souvent assez indépendant sont autant de fruits de la solitude, et de témoignage d’une vie centrée sur l’essentiel. Aussi dois-je les remercier d’avoir, en un certain sens, ré-évangélisé mon cœur. La mission porte ses fruits, parfois inattendus. Et même si la vie sacerdotale missionnaire est une vocation bien spécifique, une manière bien particulière de vivre la radicalité évangélique, je veux aujourd’hui me rappeler les mots de Paul VI (Evangelii Nuntiandi 14) martelant que l’évangélisation est la mission propre de toute l’Église. Ainsi chacun de nous, baptisé, peut-il puiser dans ce trésor qu’est la solitude les forces de la rencontre et de l’annonce du Christ. Pour transmettre ce que l’on a contemplé. Les fruits modestes de quelques mois de volontariat. Les fruits d’une vie, surtout ! Je rends grâces. Plus que jamais, mon cœur est prêt !

 

 

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B
Bonjour Thibault, <br /> <br /> je me permet de t'écrire sur ton blog ayant eu cette adresse par les Missions Etrangères de Paris, le père Georges Coulomb me l'ayant donné. <br /> Je suis étudiant en première année d'ingénieur à l'Icam de Nantes, une école d'art et métier. <br /> <br /> Dans le cadre de mes études, nous devons réaliser un prjoet de 4 mois à l'étrangers. Je mes suis donc tourné vers les MEP qui m'ont donné de une mission à Mysore, précisement là ou tu te trouves actuellement. <br /> Je prend donc le relais de ta mission à partir de début mai jusqu'à ce que le prochain volontaire arrive, début septembre. Je fais en quelques sorte l'intermédiaire. <br /> <br /> J'aurai aimé voir quelques précisions quant à des choses purement matériel... Aussi, voila quelques questions auxquelles tu voudra bien me répondre... <br /> <br /> Tout d'abord, il faut que nous définissions exactement les dates de mon arrivée et de mon départ (mon retour en France ne dépend pas de toi bien sur..) <br /> Puis, j'aurai voulu savoir à quel aéroport il faut que j'arrive...Bangalore ? De quel aéroport es tu parti de France ? et pourrai tu m'indiquer la compagnie aérienne qui pourrai correspondre à des prix les moins cher ... <br /> <br /> D'autre part, pourrais tu m'apporter quelques précisions quant à la mission en tant que telle. Je serai en principe professeur de Français à mi temps au même titre que toi je crois... cela nécessite-t-il de de la préparation avant que j'arrive en Inde. J'aurai entendu dire que les élèves sont en vacances à la période où j'arrive... cela est il vrai ? <br /> <br /> Puis, les Mep m'ont précisé que j'apporterai de l'aide et des services en liens avec différentes communautés religieuses de la bas .. pourrais tu m'en dire un peu plus ..? <br /> <br /> Au niveau des vaccins, peut tu me dire lesquels un peu les risques ?<br /> <br /> Voila, je te remercie d'avance pour tes réponses, en espérant te rencontrer très bientot, <br /> <br /> Antoine Benoit <br /> 6 rue Bossuet (chez Madame de Franssu) <br /> 44000 Nantes <br /> Tel : 06 98 02 81 94
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C
en cette veille de semaine sainte, mon cher thibault : je te laisse cette question: Et après ces découvertes ??<br /> quel passage?? <br /> fraternellement <br /> catherine
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